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Vous êtes ici : Accueil Les travaux du Réseau Etude "Métier de chercheur 2030" LE METIER DE CHERCHEUR EN 2030

LE METIER DE CHERCHEUR EN 2030

Comment des jeunes chercheurs des organismes publics français voient-ils le futur de leur métier ?


Au printemps 2014, une dizaine d’organismes publics de recherche français ont répondu à l’appel du Réseau PROSPER, et proposé à un ou plusieurs de leurs jeunes chercheurs de participer à une réflexion prospective sur le futur de leur métier à l’horizon 2030. En effet, s’il existait de multiples travaux relatifs au devenir de la recherche aux plans des programmes ou des systèmes institutionnels, il n’existait pas de vision, issue du terrain, sur ce que pourrait devenir le métier du chercheur dans le futur.

C
Considérée comme l’une des clés de la compétitivité durable des économies nationales dans un monde globalisé, la recherche est soumise à des exigences de plus en plus fortes. Le chercheur, pris en tenaille entre l’obligation de publier pour tenir son rang dans la communauté scientifique internationale, et celle de contribuer par ses travaux à donner un avantage compétitif à la structure qui l’emploie, est amené à devenir l’entrepreneur de sa propre carrière, voire un entrepreneur tout court.

De plus en plus souvent, il doit trouver par lui-même les ressources pour conduire les travaux qu’il propose, ce qui peut aller jusqu’au crowdfunding direct. Ses réseaux personnels prennent de l’importance, dans le cadre de recherches collaboratives de plus en plus ouvertes, y compris en sortant du périmètre traditionnel des institutions de recherche. Tout ceci est facilité par le développement du Big-data, dont l’accès permet les travaux de recherche hors les murs et les interactions entre amateur et professionnel, mais aussi entre chercheurs et société civile, tandis que se développent les exigences de transparence et d’éthique.

Ce tableau de changements profonds, déjà à l’œuvre aujourd’hui, constituait le point de départ de la réflexion entreprise. Partant de là, de multiples questions se posaient aux chercheurs :

    • Jusqu’où ces évolutions iront-elles, au-delà de l’horizon de visibilité actuel ?
    • En quoi consistera le métier de chercheur en 2030 et au-delà ?
    • Où travaillera-t-il ?
    • Se sentira-t-il encore appartenir à un organisme de recherche, ou sera-t-il d’abord un entrepreneur individuel menant sa propre carrière ?
    • Quel sera le profil de compétences qui fera son succès ?
    • Y aura-t-il des compétences spécifiques relatives au chercheur débutant ?
    • Qu’est-ce qui va le motiver dans son travail ?
    • Quel sera le fil directeur de sa carrière ?
    • Devra-t-il nécessairement être pluridisciplinaire et international ?
    • Sur quoi sera-t-il évalué ?
    • Où et comment va-t-il publier, et dans quelles conditions ?
    • Comment percevra-t-il sa « responsabilité sociétale » ?
    • Quelles seront les conséquences, sur les pratiques de la recherche, de l’explosion des capacités de recherche en Chine ou dans les pays émergents ?


Voilà donc les termes dans lesquels était posée la problématique de travail du groupe de jeunes chercheurs.

télécharger la fiche descriptive de l’action


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Les travaux se sont déroulés sur un an, et ont mobilisé une vingtaine de jeunes chercheurs issus d’une dizaine d’organismes (EPST et EPIC). Six ateliers de travail d’une journée ont été animés par le Réseau PROSPER, qui s’est chargé de la mise en forme et de la valorisation de l’intense production de chacune de ces réunions. Pour assurer la solidité et la crédibilité des résultats produits, un processus méthodologique rigoureux a été respecté. Les différentes étapes du travail ont été largement documentées, pour en assurer la traçabilité et permettre leur mise en débat, leur approfondissement, leur réutilisation, voire leur réinterprétation dans le cadre d’un élargissement ultérieur de l’exercice.

La toute première étape visait à mieux définir le périmètre et le contenu du champ d’exploration prospective. Pour cela, un tour de table a permis de recenser l’ensemble des changements de toutes natures déjà perçus par les chercheurs dans leur vie quotidienne. Cet état des lieux s’est prolongé d’un « remue-méninge » portant sur la poursuite de ces évolutions, les autres changements imaginables, les tendances lourdes et ruptures possibles, les questions soulevées par ces premiers échanges. Cette abondante moisson de faits, d’idées ou de questionnements a constitué la matière première permettant de délimiter et structurer le champ d’étude. Les principaux aspects en ont été repris ultérieurement pour produire un tableau récapitulatif du ressenti initial du groupe de travail sur les évolutions impactant le métier de chercheur, afin de garder la trace du point de départ de la réflexion.

télécharger le tableau du ressenti initial du groupe sur les évolutions impactant le métier de chercheur


L’étape suivante, essentielle pour l’élaboration de scénarios crédibles, était d’inventorier et organiser l’ensemble des facteurs à l’origine de tous ces changements – ceux déjà perçus et ceux imaginés – du métier de chercheur. Plus précisément, le défi était de construire une représentation englobante, tout en restant d’appropriation facile, du système de facteurs qui gouvernent l’évolution dans ce domaine. Après de multiples tentatives de représentation du système, les travaux ont abouti à l’arborescence reproduite ci-dessous, cœur du modèle prospectif utilisé par la suite.


télécharger l'arborescence des facteurs influant sur le métier de chercheur en 2030

Elaborer directement des scénarios globaux du devenir du métier de chercheur, en combinant ce qui pourrait se passer à l’extrémité de toutes les ramifications (quatrième niveau), n’est évidemment pas envisageable : on se perdrait dans la combinatoire des possibles. De manière assez classique, l’élaboration des scénarios globaux s’est donc opérée en deux étapes. Dans un premier temps, en partant de l’extrémité des ramifications, des « micro-scénarios » d’évolution partielle ont été construits pour chacun des quatorze facteurs du second niveau de cette arborescence. Ces micro-scénarios constitueront, dans un second temps, la base pour élaborer des scénarios globaux : ils constitueront les hypothèses d’évolution des quatorze « variables » du système global. Cette étape d’élaboration des micro-scénarios est essentielle pour fonder la suite de l’exercice. Elle est décrite dans un livret de synthèse qui assure la traçabilité du raisonnement prospectif.

télécharger le livret de synthèse des évolutions possibles pour les 14 variables


L’étape suivante s’effectue à un niveau « macro », à partir des quatorze variables et de leurs hypothèses d’évolution définies précédemment, grâce à un « tableau morphologique » (voir ci-dessous). Sur ce tableau, le libellé de chaque hypothèse d’évolution est l’intitulé du « micro-scénario » sous-jacent. Dans la pratique, la vision d’ensemble ainsi conférée a conduit à créer quelques hypothèses nouvelles, qui n’avaient pas été documentées lors du travail sur les quatorze variables, mais qui se sont avérées nécessaires pour élargir le spectre des scénarios globaux.

télécharger le « Tableau morphologique » pour l’élaboration des scénarios

 

Les scénarios sont produits en choisissant une hypothèse d’évolution pour chacune des 14 variables (une case dans chacune des 14 lignes du tableau de travail représenté ci-dessus). Plusieurs séances de travail et plusieurs manières de procéder à l’assemblage des hypothèses ont conduit à produire vingt scénarios. En fonction de leurs proximités, ces scénarios ont été regroupés en cinq familles, pour définir cinq trajectoires typées d’évolution possible du métier de chercheur d’ici 2030. Chacune de ces cinq trajectoires force le trait dans une direction. La réalité future sera bien évidemment une combinaison des différents traits, selon une pondération pouvant largement varier :

  • Pilotage par le monde économique,
  • Conflits, suspicions et contrôles,
  • Instabilités et débrouille,
  • Réinvestissement dans la connaissance,
  • Sciences citoyennes.


télécharger les fiches descriptives des cinq grandes trajectoires retenues

 

Pour chacune de ces trajectoires, le métier de chercheur a été analysé selon les deux composantes qui le caractérisent.

  • La composante « existentielle » du métier, c’est-à-dire ce qui « fait » le métier dans la société : savoir-faire et savoir-être spécifique, identité du métier et reconnaissance sociale, organisation de la communauté, structuration du marché du travail. L’analyse de la dimension sociétale du métier fait apparaître des différences notables entre les trajectoires, concernant les activités productrices du chercheur et les bénéfices qu’en retire la société.
  • La composante « opérationnelle » du métier, c’est-à-dire la pratique du métier au quotidien : nature des postes et tâches attachées, nature des sujets et liberté du chercheur, conditions de travail et environnement technique et humain, poids des tâches non scientifiques. L’analyse comparative des cinq grandes trajectoires possibles pour le métier de chercheur fait là aussi apparaître de multiples différences en matière de profils gagnants, de carrières, d’attractivité…


Pour chacune de ces deux composantes, un tableau synthétique a été produit, permettant rapidement de voir en quoi consistent les différences entre trajectoires :

télécharger le tableau comparatif du métier de chercheur dans la société selon les trajectoires

télécharger le tableau comparatif de la pratique du métier de chercheur selon les trajectoires


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Une confrontation au regard de responsables de la recherche publique

L’objectif d’un tel travail est évidemment d’irriguer les réflexions que peuvent conduire l’ensemble des acteurs et des responsables de la recherche. La première étape en a été l’atelier de restitution du 25 juin 2015, qui a réuni une cinquantaine de participants. Cet atelier a été consacré à débattre, avec les responsables scientifiques et des ressources humaines des organismes ayant soutenu l’opération, des visions élaborées par le groupe de jeunes chercheurs et des questions soulevées par cet exercice de prospective.

La question de la pertinence d’une approche purement française – et qui plus est du seul secteur public – a bien entendu traversé l’ensemble des débats sur l’avenir d’un métier déjà largement internationalisé. Il est donc apparu utile de préciser que la vision prospective développée n’avait pas vocation à l’universalité, mais à formaliser les perceptions de l’avenir de leur métier de jeunes chercheurs d’institutions publiques françaises, pour ébaucher un référentiel de pensée et de débat commun entre les organismes et leurs chercheurs. Ces visions du futur sont bien sûr à confronter ensuite – et tant le Réseau PROSPER que les organismes le souhaitent – à d’autres visions élaborées dans d’autres cadres.


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Trois interrogations majeures soulevées par l’exercice

Au-delà d’inquiétudes exprimées au départ par les chercheurs, concernant le devenir de la recherche et des chercheurs en France, et sans revenir sur le constat, largement partagé, que le métier de chercheur ne sera plus demain ce qu’il était hier – plus de complexité, plus de compétition, moins de budgets récurrents, plus de comptes à rendre –, les débats entre jeunes chercheurs et responsables d’organismes ont conduit à mettre en exergue trois interrogations majeures, relatives à des aspects structurants du métier pour lesquels le futur reste largement ouvert, et qu’il conviendra d’approfondir.

Une mondialisation qui questionne les fondements culturels du métier de chercheur

L’exercice a mis en évidence que, au-delà d’intérêts économiques largement uniformisés au plan mondial, les activités de recherche procèdent de motivations et d’ancrages culturels forts. La confrontation des référentiels culturels qui sous-tendent l’activité de recherche dans les différentes parties du monde, à la fois au niveau sociétal (valeurs, attentes, éthique), institutionnel (modes organisationnels, règles du jeu) et individuel (motivations, comportements), apparaît de ce fait comme un déterminant majeur du devenir global du métier de chercheur, tant dans son inscription sociétale que dans sa pratique quotidienne. Les déterminants culturels sont en particulier en lien direct avec l’importance accordée à la création de nouvelles connaissances, relativement à celle de produire de l’innovation.

Une transition numérique porteuse de « virtualisation » du métier

Le progrès technique ouvre de nouvelles possibilités et transforme la manière de pratiquer le métier. A cet égard, le développement des moyens numériques fait entrer la recherche dans une nouvelle ère, où la détention ou l’accès aux données sera un enjeu majeur, où l’activité va s’éloigner des paillasses pour se virtualiser, où des outils de traitement transformeront des données massives en connaissances nouvelles, dont la pertinence soulèvera de nombreuses questions.

Des mécanismes de régulation du métier sous haute tension

L’évaluation du chercheur devrait rester un des fondements du métier, mais les modalités en apparaissent largement ouvertes, entre une poursuite de la fuite en avant vers toujours plus de publications, dans des revues tenues par des éditeurs toujours plus puissants, et d’autres formes plus auto-organisées dans la communauté ou au contraire plus ouvertes et liées aux performances économiques ou à l’utilité sociale.

télécharger le « 4-pages » de restitution aux organismes ayant soutenu l’opération


Bien d’autres questions ont été soulevées à la lumière des scénarios produits : questions de formation et de compétences (entre hyperspécialisation et polyvalence), de mobilité (qui n’est pas que géographique et subie), de carrière (que deviennent les « vieux » dans un système qui promeut de plus en plus vite les jeunes ?), de ressources (de quoi vivra le chercheur ?), de statut social (quelle reconnaissance d’un « corps social » de chercheurs ?), etc.

A cet égard, les visions d’avenir élaborées lors de cet exercice ont bien joué leur rôle de déclencheur de débats sur les causes et les effets des changements, sur le possible, le probable et le souhaitable, sur les capacités d’inflexion du cours des évènements, sur la nécessaire introduction d’une vision du devenir du métier de chercheur dans la réflexion stratégique des acteurs de la communauté nationale.

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Le groupe de travail

Les travaux décrits ici ont été conduits dans le cadre d'un groupe de travail spécifique, mis en place par le Réseau PROSPER.

Le groupe de jeunes chercheurs
Aline CARNEIRO VIANA (INRIA), Grégory CARRIER (IFREMER), Lauric CECILLON (IRSTEA), Audrey CHATILLON (CEA), Patrice DUMAS (CIRAD), Paul-Quentin ELIAS (ONERA), Ahlem FILALI (IRSTEA), Michaël JUBLOT (CEA), Bérangère LEBENTAL (IFSTTAR), Sidonie LEFÈBVRE (ONERA), Julien MAIRAL (INRIA), Emma MILHAU (CIRAD), Cécile NEUVEGLISE (INRA), Ivane PAIRAUD (IFREMER), Stéphane PESCE (IRSTEA), Gaël PILLONNET (CEA), Céline REVENU (Institut Curie), Sabrina TEYSSIER (INRA).

L’accompagnement PROSPER
Bernard DAVID (CEA), Marie de LATTRE-GASQUET (CIRAD), Nicolas de MENTHIERE (IRSTEA), Antoine GUIGON (ONERA), Halvard HERVIEU (MEDDTL), Moussa HOUMMADY (BRGM), Emmanuelle JANNES-OBER (IRSTEA), Denis LACROIX (IFREMER), Olivier MORA (INRA).